2005-2020

La conscience attentive ferme la porte
aux pensées et émotions nuisibles.

2005

Après Cours, Lola, cours, retour en 2005. Où en étais-je? Ah oui: « Eh, que la maison est loin! »

« Espèce de débile d’automobiliste! Si ç’avait pas été de lui, j’aurais vu le trou! – Eh, que ça fait mal! – Ah, puis ça me tente tellement pas de faire des appels téléphoniques! – Foutue job! – Qu’est-ce qu’on va manger pour le souper? – Ah, merde! Fallait que je passe acheter du café! – J’suis tanné! – Maudite cheville, que ça fait mal! – Et moi qui voulait juste une couple de beignes! – Faut pas que j’oublie de prendre rendez-vous chez le dentiste! – Combien ça va me coûter, ça, encore! – Bon, une musulmane, maintenant! Eh, que c’est stupide de porter un voile! – J’espère qu’il y a un bon film, ce soir! – Ça me prend ça! – C’était l’fun lorsqu’on était allés voir La grande vadrouille, en gang! – J’me demande ce qu’ils sont devenus? – J’aurais pas dû dire ça de cette femme voilée! – Maudits trottoirs! Quand est-ce qu’ils vont les réparer! – Puis c’est pas de mes affaires, ce que cette femme décide de porter! – Tiens, le dépanneur. – Ah, pis, au diable le médecin. Je vais au moins me payer un May West! »

Tout ça en moins d’une minute! Avec encore 10 minutes de marche à faire, l’après-dépanneur débutait par « J’aurais pas dû manger ça! ». Vous avez sans doute deviné ?

2020

Vers la fin de chaque cours de méditation Vipassana, il nous est recommandé de méditer continuellement, c’est-à-dire demeurer constamment présents à tous les phénomènes (physiques et mentaux) qui s’opèrent en nous chaque instant. Les séances d’une heure, matin et soir, constituent la partie « entrainement », afin de développer la faculté d’observer ces phénomènes de manière objective, peu importe l’heure et peu importe ce que l’on fait dans sa vie de tous les jours.

C’est ça, Vipassana : une forme d’attention unique, et longue à maitriser. Et que je ne connaissais pas.

Je me suis d’ailleurs toujours rappelé les mots de U Ba Khin, un enseignant majeur de cette approche de méditation : « travaillez à connaître cette loi du changement, aussi continuellement que possible… c’est ce qui est vrai de la nature… l’impermanence et le déclin de tout ce qui existe dans cet univers. »

Il disait aussi que cette continuité de l’attention est un facteur essentiel à tout changement positif durable dans sa vie. Sceptique au début, je ne travaillais pas trop sérieusement. Par conséquent, il n’y avait aucune continuité de conscience attentive, et j’étais souvent pris dans la « roue du hamster ».

Petit à petit, par contre, cultivant cette forme d’attention, j’ai réalisé combien peu je connaissais ma propre mécanique. En y pensant bien, n’est-il pas logique, si on veut sortir de son mal-être, de commencer par connaitre cette machine qui souffre?

Il fallait donc commencer par explorer ce qui se passe en-dedans. Et surtout, surtout, éviter de conclure trop vite, influencé par mon empressement d’aller mieux, car (et j’ai fini par m’en apercevoir) c’est justement cet empressement qui fait que je m’agrippe à mes idées reçues, à mes opinions, à mes préférences personnelles, et à ce que je suis sûr de savoir.

À force de porter attention, j’ai commencé à découvrir que lorsque prenait naissance ne serait-ce que la moindre petite manifestation d’agitation ou de contrariété, c’est que je m’étais placé au centre de mes pensées. Avec plein de « je », de « moi » et de « me » dans chacune d’elles. (Revoir 2005 ?)

De plus, peut-on sérieusement croire que si j’avais vraiment été « celui qui pense ces choses », je me serais laissé aller à cette diarrhée verbale? Feu roulant, aucun fil conducteur, pensée séparée en trois par deux autres, et ne connaissant même pas la prochaine pensée qui viendrait?

Lorsque je marche dans le quartier et que je croise un passant en train d’enguirlander quelqu’un qui n’est même pas là, je vous assure qu’entre lui et moi, il n’y a pas beaucoup de différence. C’est seulement une affaire de volume sonore.

Un peu de folie, là, non? Le Bouddha lui-même m’aurait dit que c’en est, je ne l’aurais pas cru. (Après tout, j’en savais plus que lui. ?)

À force de porter attention, avec la patience et la persévérance qu’on nous avait recommandées, lorsqu’il se produisait, ne serait-ce qu’un début d’enchainement de pensées négatives, je tentais tout de suite de revenir à l’observation des sensations (physiques et mentales). Je dis bien « tentais », car ce n’était pas toujours facile de regarder un début d’émotion sans redémarrer « la roue ».

Voulant à tout prix faire « quelque chose » avec ce ressenti déplaisant, c’était difficile de simplement en prendre note et de le laisser s’en aller de lui-même. S’il s’agissait d’un début d’inquiétude, par exemple, j’avais de la difficulté à simplement revenir à une observation calme des sensations. Inquiet de ne plus m’inquiéter. Ben oui! Inquiet de ne pas m’inquiéter. Un peu de folie, là aussi, non?

Ce qui petit à petit s’opérait à travers cette répétition de « retour aux sensations » était le lent développement d’une capacité de détachement.

À force d’y travailler, et cultiver cette habileté à me détacher de mes propres pensées, je pouvais mieux les examiner de manière objective, et les voir comme de simples phénomènes, impersonnels, apparaissant et disparaissant sans cesse, chacun selon les conditions du moment.

Autrement dit, toutes ces « Je ne peux pas supporter… – J’en sais plus que… – Tu m’as fait mal… – Qu’il est stupide, celui-là… – J’peux bien me gâter un peu… – J’suis pas d’accord… – Ça m’tente tellement pas… – J’suis tanné… – Je suis réaliste… », j’ai cessé de les croire comme étant vraies. Je les vois maintenant comme de simples distractions, sans importance aucune, et elles ont complètement disparu ou sont en train de disparaitre de mon monde intérieur.

Cette forme d’attention est devenue une formidable protection contre ces déferlements émotifs qui m’avaient toujours affligé.

Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, ces accomplissements ne sont dus ni à la force de la volonté ni à l’intelligence, et je ne peux m’en attribuer aucun mérite. Ça s’est fait de manière absolument naturelle… graduellement, dans la mesure où j’ai eu l’humilité de suivre les instructions, et arrêter de « me prendre pour un autre ». Pour quelqu’un qui sait.

La forme d’attention que préconise le Bouddha me protège comme jamais j’ai été protégé, et cesser d’être ainsi attentif n’équivaudrait ni plus ni moins qu’à baisser la garde.


La photo est une gracieuseté de Alexandra Dech Alexandra Dech, sur Unsplash

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