« Va-t’en dans ta chambre pour méditer un peu! »
(Une maman)
En réponse à un article, un lecteur m’a avoué qu’il ne saisissait pas clairement ce que j’entends par méditation, et en quoi Vipassana est tellement différent. Je dois admettre que je comprends très bien, car il existe de nombreuses formes de méditation, qui souvent divergent par leurs objectifs.
Cet article est une tentative de réponse.
« Va dans ta chambre pour méditer un peu! » Qui ne se souvient pas d’avoir entendu sa mère le lui dire, enfant, après avoir commis un mauvais coup? Injonction qui était souvent suivie de « Va réfléchir à ce que tu as fait! »
Réfléchir est bien souvent le premier mot que l’on associe à méditer.
Sans en faire un exposé exhaustif, je dirais qu’en Occident la méditation est plutôt associée à une activité qui met en jeu l’intellect. On réfléchira à une idée, à un problème ou encore à un concept philosophique, comme l’idée du Bien ou la notion de l’Être, par exemple. Ou encore à sa propre conduite, comme l’enfant « dans sa chambre ».
Les différentes formes orientales de méditation visent aussi à promouvoir une conduite morale, et atteindre un état de sérénité ou de bien-être. On y parviendra par contre en développant la concentration sur un objet quelconque, l’esprit libre de tout discours intérieur, analyse ou conceptualisation.
Pour atteindre ces niveaux de concentration, on imaginera la forme d’un personnage ou d’une déité quelconques; ou bien on utilisera la verbalisation, comme en méditation transcendantale, répétant des sons ou des mots, souvent en sanskrit : des mantras. Il y a aussi les pratiques méditatives, comme le yoga ou le Tai Chi, utilisées pour favoriser un état de relaxation ou de bien-être physique et spirituel.
La méditation Anapana — l’étape de préparation à Vipassana — utilise le flux naturel de la respiration dans le but de développer concentration et attention, et ainsi d’apaiser l’esprit.
Il existe également une forme de méditation d’attention ouverte, libre de jugement et d’interprétation sur le contenu de notre conscience : le mindfulness (la méditation de pleine conscience). Cette forme de méditation connait un succès grandissant, car elle produit des effets bénéfiques sur le stress, sur l’anxiété et sur la dépression, entre autres.
Pour comprendre ce qu’est Vipassana, il faut faire un survol des différents niveaux de négativités qui influencent le comportement humain, et pour donner un aperçu de leur champ d’opération, le mieux est de présenter un exemple de la vie courante.
Je marche dans la rue, heureux, paisible, profitant du soleil printanier. Je me sens bien. Soudain, au loin, je vois venir quelqu’un avec qui j’ai déjà eu une querelle. Et là, je ne me sens plus bien.
Je voudrais bien changer de côté de rue, mais il m’a vu. Plus cet individu vient vers moi, plus je sens la colère monter. Je ne peux plus l’éviter. Tant pis pour lui, je me mets à l’invectiver, à l’insulter. Naturellement, il réagit, et nous voilà repartis pour une autre engueulade.
Que s’est-il passé? Comment ça s’est passé?
Le premier niveau, lorsque tout semble aller bien, est celui des tendances latentes. Ces négativités ne sont pas visibles à notre conscience, mais elles sont là, sous la surface, en dormance. C’est le niveau le plus subtil. On « croit » que tout va bien parce qu’en ce moment, on se sent bien; mais, on l’a vu dans notre exemple, c’est trompeur. Et fragile.
Le second niveau, celui de la manifestation, est celui où la négativité passive passe en phase active. Lorsque nos sens ou notre pensée entrent en contact avec leurs objets respectifs, qu’il s’agisse d’une personne, d’une musique, d’une lecture ou d’un souvenir, nous procédons à une évaluation : agréable ou désagréable. C’est à ce moment que ce qui était dormant se réveille, contrôlant ainsi nos pensées, notre attitude et nos émotions.
Le troisième niveau est le celui où une négativité gagne en intensité. La roue du hamster s’est mise à tourner de plus en plus vite et, ne pouvant plus me retenir, je « pars en vrille ». C’est le domaine des querelles, des crises d’anxiété, des « Maudit hiver! » ou des « Pauvre moi! ». Le niveau de la transgression.
Le sens moral est cette faculté qui empêche l’être humain d’atteindre l’étape de la transgression, c’est-à-dire de céder à la colère, par exemple, et poser un geste qu’il risque de regretter pas la suite. Malheureusement, comme chacun le sait, c’est fragile.
La pratique de la concentration permet d’apaiser l’esprit en faisant cesser toute manifestation négative avant qu’elle ne prenne trop d’intensité. Avant de « partir en vrille ». C’est à ce niveau qu’agissent les pratiques de méditation de type samatha, le développement du calme.
La pratique de Vipassana, quant à elle, agit dans les profondeurs de l’esprit, et vise à éliminer les conditions qui permettent l’apparition de toute négativité.
C’est le développement de la sagacité (la signification réelle de Méditation Vipassana), cette faculté de pénétrer et comprendre ce qui est derrière le voile des apparences.
Pour y arriver, le méditant s’entraine à prendre conscience des différentes sensations physiques, des plus grossières aux plus subtiles — ces dernières échappant normalement à notre conscience —, car c’est par les sensations que tout ce que nous percevons, aussi bien une personne qu’un souvenir, prend une couleur… plaisante ou déplaisante. En d’autres mots, tout ce que l’on perçoit nous procure une sensation, un « feeling », agréable ou désagréable. Et c’est l’ignorance de ce « feeling » qui nous fait réagir; non la personne ou le souvenir, contrairement à ce qu’il nous semble.
Demeurant attentif aux sensations physiques les plus subtiles, le méditant prend conscience de son comportement mental profond, et c’est par cette observation qu’il peut se libérer de l’emprise que les tendances latentes avaient sur son esprit. Ainsi, à force de méditer, les négativités vont en s’affaiblissant, pour éventuellement disparaitre complètement.
Je réalise qu’il est difficile ou même impossible d’accepter le fait que ce n’est jamais une personne, un événement ou un souvenir qui est agréable ou désagréable, mais une sensation physique. Tenter de « comprendre » ces mécanismes est futile, car l’intellect n’ayant accès qu’à ce qui est apparent, il lui manquera toujours une partie de l’équation.
Même après plusieurs années de méditation, je ne cesse de m’émerveiller devant la puissance de cette technique, et presque chaque jour je me surprends à dire « Hey, ça marche! »