Tout ce qui est composé et conditionné est impermanent. La compréhension constante et totale de cette loi constitue la voie directe pour l’éradication de toute souffrance. (Le Bouddha)
Une petite note liminaire. La loi de l’impermanence gouvernant tout phénomène, le Bouddha nous enjoint de travailler (fort) à développer la finesse de notre esprit pour arriver à faire constamment l’expérience de la vérité de cette loi dans notre vie quotidienne — physique et mentale, et cela au niveau le plus profond. Je pense que Vipassana fait partie de ce travail.
À force de méditer, j’ai réalisé que « comprendre » n’est pas quelque chose qu’on accomplit « une fois pour toutes ». Au plan intellectuel, « comprendre » est un phénomène mental, soumis lui aussi à cette loi de l’impermanence. Autrement dit, « on comprend — par moments », puis on oublie.
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Il est bientôt 20 h, le moment de ma séance de méditation. Comme tous les soirs depuis de nombreux mois, ça ne me dit rien de méditer. J’aimerais mieux poursuivre la lecture du livre que j’ai entre les mains, ou carrément aller me coucher. « Est-ce que c’est vraiment si important que ça, méditer deux heures par jour? Franchement, ils exagèrent! C’est ennuyant! J’ai mal au genou, et puis je m’endors pendant que je médite! »
Cette aversion envers la méditation du soir est apparue quelques mois après la première retraite. J’avais beau me dire que j’en retire tellement de bienfaits, que je suis toujours content une fois que j’ai complété mon heure, rien à faire : l’aversion était toujours là… et j’y cédais.
J’imagine que le changement est apparu graduellement, mais toujours est-il que j’ai réalisé que je portais mon attention uniquement sur l’objet de cette aversion, c’est-à-dire sur l’heure de méditation qui approchait, plutôt que sur le processus d’aversion.
J’avais tout simplement oublié d’appliquer dans ma vie ce que j’avais tellement pratiqué durant le cours : prendre conscience de tout qui se passe en soi… au moment où ça se passe, et observer cet incessant changement de réalité. Ne pas y réagir; juste observer.
Je me suis aussi rappelé que si on y passe 10 jours, à raison de 10 heures par jour, c’est que ce n’est pas du tout évident d’observer ce qui se passe en soi, et que c’est un mode d’attention qui demande de l’entrainement.
J’ai ainsi appris qu’observer l’aversion comme aversion est très différent de « réfléchir à l’aversion », « parler de l’aversion » ou « analyser ce qui vient de se passer ». Même si ça s’avère parfois inconfortable, j’essaie de ne pas détourner le regard, mais simplement d’observer la réalité de ce qui se passe en moi — d’instant en instant, pour être en présence du fait que chaque instant est différent du précédent.
C’est durant ces 10 jours qu’on apprend une technique simple et concrète qui nous permet de développer cette faculté. On travaille aussi à développer l’acuité de l’esprit pour le rendre habile à déceler ces multiples changements, trop subtils et rapides pour être observés facilement. (C’est pour ça que Vipassana est appelée « méditation de sagacité ».)
Retour à mon « ça ne me tente pas de méditer ».
Le problème venait du fait qu’en ne portant mon attention que sur l’objet extérieur — l’heure de méditation qui approchait, plutôt que sur ce phénomène changeant qu’est l’aversion, je demeurais convaincu que ce moment déplaisant que je vivais maintenant durerait toute la séance.
Je n’observais plus la réalité changeante, mais demeurais accroché à l’idée que je m’en étais faite.
La réalisation de mon erreur m’a fait changer de perspective : regarder l’événement plutôt que l’objet.
L’aversion n’a pas disparu pour autant (sont coriaces, les habitudes), mais maintenant, comprenant mieux la nature changeante de la réalité du moment, ça dure moins longtemps. « Tiens! De l’aversion! Voyons voir combien de temps ça va durer! » Je m’assois et, après quelques minutes (quelques secondes, parfois), je suis concentré sur ma respiration et sur les sensations physiques, parfaitement calme.
Parfois, c’est du doute qui se manifeste. « Je devrais attendre au prochain cours, pour être vraiment sûr que je médite comme il faut » ou bien « est-ce que j’ai vraiment besoin de ça, la méditation? » Je fais un p’tit pas d’côté : « Ah tiens! Du doute! Voyons voir combien de temps ça va durer! » Et je m’assois pour méditer, le doute ayant passé tout droit.
En l’appliquant de plus en plus dans ma vie de tous les jours, ça m’a permis de dissoudre l’inquiétude, la colère, la tristesse ou la déprime. « Ah tiens! De l’agitation! Voyons voir combien de temps ça va durer! »
Contrairement à ce j’étais porté à penser, faire l’expérience du changement intérieur s’est révélé être tout sauf perdu dans mes pensées.
« Perdu dans mes pensées » est ce qui se passe lorsque j’ai cédé à l’aversion, mystifié par le scénario du film qui se déroule dans ma tête. Vipassana m’a donné la possibilité de voir le film en tant que fiction, sans m’y laisser prendre.
Maintenant, je marche dans mon quartier, et plutôt que m’accrocher aux multiples pensées qui tentent d’attirer mon attention, m’inquiéter pour mon avenir ou revenir sur un événement désagréable du passé, j’arrive plus facilement à m’en détacher et revenir à la réalité du moment.
Étant ainsi moins distrait par mon propre esprit, je peux mieux profiter des belles couleurs des feuilles d’automne, de l’odeur de celles qui sont tombées et de la chaleur des derniers rayons de soleil.
Comprenant surtout que cet état bienfaisant n’est qu’un événement, lui aussi destiné à se dégrader et à disparaitre, je ne m’y attache pas et demeure paisible. En harmonie avec les lois de la nature, et en paix avec la vie.
Contrairement à ce que dit le titre de cet article, ce secret n’en est pas un. C’est là, directement devant mes yeux, pour peu que je regarde derrière les apparences.
Super Pierre!
Cet article, malgré sa simplicité, reflète l’essence de la pratique vipassana qui est un effort constant. Il a été inspirant pour moi ces jours-ci; j’éprouvais en effet de l’aversion pour certaines situations et certaines personnes, et ce changement de focalisation sur l’aversion même et non sur l’objet m’a aidé à traverser ces situations « en apparence » pénibles. Et que c’est réconfortant et plaisant de sentir l’aversion se dissiper après l’avoir observée en toute équanimité :))
Bonjour, Khaled!
Je suis heureux que cet article t’ait été utile. C’est fou comme on se rend malheureux lorsqu’on regarde à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur. Ce changement de point de vue fait toute la différence… et quelle différence!
Merci Pierre pour les conseils! Tu nous décris une bonne technique pour faire face à toutes nos émotions, qu’elles soient générées pas l’aversion ou l’attachement. C’est vraiment spéciale de voir la jalousie surgir, par exemple et, au lieu de penser à la cause de cela , se demander si c’est justifié, planifier notre rétorque, etc…simplement regarder l’émotion, comme si on regardait notre respiration, la voir se transformer comme un nuage passager, se dégarnir et, presque par magie…se dissiper.
C’est exactement comme tu dis: la voir se transformer comme un nuage passager.