Lorsqu’on enlève le « M’ » de l’équation…
Très beau commentaire, suite à On m’attaque!, et qu’il vaut la peine de lire.
Comment un petit mot fait toute la différence… lorsqu’on l’enlève?
Il a suffi à André de retirer un seul mot pour passer de « Il m’a fait ça! Ça n’a pas d’allure; on ne peut pas accepter cela! » à « C’est toute la différence du monde; et alors, comme éducateur, je pouvais l’accompagner dans la prise de conscience des conséquences qu’il vivait en agissant de cette façon. »
C’est en enlevant le ME de « Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il ne ME faisait pas ça… » que le psychoéducateur a pu faire un meilleur travail d’accompagnement auprès de ce jeune.
Je crois que nous pouvons tous reconnaitre les bienfaits que produisent de tels moments de sagesse, pour soi… et aussi pour nos proches. Nous avons tous lu, et, pour la plupart, sommes bien d’accord avec « il ne faut jamais prendre les choses personnellement ». Nous savons tous cela.
Mais qu’en est-il de ces fois où ça ne tient plus? De ces fois où je SAIS qu’il a dit ça pour me blesser? De ces fois où l’on refuse d’enlever ce ME?
Et pourtant, en y regardant bien, est-ce que tous les conflits entre humains — et tous les conflits intérieurs — ne viendraient-ils pas de là? « Je suis absolument certain qu’il a voulu me faire mal. Ma colère est justifiée, et personne ne pourra me faire changer d’idée. »
Ayant ainsi raison, refusant d’en démordre, je demeure en colère, contrarié, triste, plein de rancune… et la relation est brisée. (Je sais de quoi je parle ?)
Avec les récentes avancées en imagerie médicale, un débat est en cours sur toute cette question du Moi, et les scientifiques parlent de plus en plus de la perception du Moi comme hallucination contrôlée, s’opposant à l’école de pensée psychanalytique qui lui attribue une existence réelle.
Je crois que ce débat est futile, et que ce n’est pas là qu’il faut regarder, mais plutôt du côté de ce qui accompagne toujours ce ME ou ce MOI.
Lorsque je dis, par exemple, « il ne l’emportera pas sur moi », est-ce que ce n’est pas un refus de lâcher prise? Est-ce que « tenir » à mon opinion n’en est pas une autre forme? Ne suis-je pas « attaché » à MA réputation lorsque je tiens à ce qu’on ne pense pas de mal de moi? Ou bien « attaché » à MES petits plaisirs quand je ne veux pas me priver de ce dessert si appétissant? N’est-ce pas de l’attachement lorsque je me sens contrarié quand on vient déranger MES petites habitudes? Ou inquiet de ce qui pourrait m’arriver tant je tiens à MA sécurité?
Les expressions « tenir à » ou bien « s’accrocher à », « être attaché » ou encore « refuser de lâcher prise » comportent bien sûr des nuances sémantiques, mais je préfère laisser ça aux philosophes et aux linguistes, et regarder du côté de ce que toutes ces différentes nuances ont comme seul et même résultat : celui de nous rendre misérables, malheureux, agités.
Je pense que l’on peut ainsi faire d’une pierre deux coups. Plusieurs coups, même.
Mais comment faire pour regarder « l’attachement » comme phénomène, séparé de tout objet? Mais surtout, comment faire pour l’éliminer ou tout au moins l’affaiblir?
Comme l’attachement n’est pas un objet extérieur à soi, mais plutôt quelque chose que NOUS générons, je crois que c’est comme tel que nous devons le connaitre : en en faisant l’expérience, afin d’en comprendre le mécanisme et toute son étendue. C’est ce que Vipassana nous permet de faire, c’est-à-dire regarder l’attachement au moment même où il se manifeste. Au lieu d’entendre parler d’attachement, on a une connaissance directe de son fonctionnement et de ses effets sur soi.
Lors des 100 heures que dure la retraite, parcourant systématiquement la surface du corps pour prendre conscience des différentes sensations qui s’y manifestent, nous nous efforçons d’observer sans réagir ce picotement soudain au nez, cet engourdissement dans la cuisse, ou ce point dans le dos qui ne veut pas s’en aller. De la même manière, nous nous efforçons de ne pas nous occuper des pensées qui attirent notre attention, et, sans relâche, de constamment revenir à l’objet de méditation, c’est-à-dire la réalité des sensations.
(Je tiens à préciser que la résistance à la douleur n’est pas le but de Vipassana. Étant donné qu’on est là pour apprendre à s’observer de manière objective, il faut bien pratiquer sur quelque chose. Et il se trouve qu’il est plus facile de le faire en observant les sensations physiques que les pensées ou les émotions.)
Imperceptiblement donc, à observer objectivement, MA douleur, MON émotion et MES pensées subissent l’érosion de la réalité. Ce qui était MA douleur devient une sensation comme une autre. Ce qui était MON enfance pénible devient une pensée comme une autre. C’est ainsi que — petit à petit — je commençais à comprendre jusqu’à quel point cet attachement au ME était à la source de tout ce qui m’a contrarié, inquiété, déprimé ou attristé.
Cette lente, mais inexorable déconstruction qu’est le fait de voir les choses comme elles sont en réalité a pour effet d’affaiblir et de déraciner inquiétude, colère, rancune, déprime et stress, enfin tous ces ingrédients qui germent sous la surface et dont l’éclosion nous empoisonne l’existence.
Mais il y a un point encore plus important.
Plus je médite, plus je réalise combien l’attachement est partout, qu’il se manifeste dans de tout petits détails quotidiens, le plus souvent prenant la forme de pensées ou de réflexions qui passent généralement inaperçues, mais qui nous laissent avec un arrière-gout d’insatisfaction face à notre vie.
Contrairement à ce que j’ai toujours cru, l’attachement n’est pas un phénomène occasionnel, mais continu. Et l’habitude est tenace.
Je vois bien que ça ni facile ni rapide d’enlever complètement cet attachement au ME. Mais, petit à petit, le voyant s’affaiblir, et, à la lumière de tous les bienfaits que j’en ai tirés jusqu’à maintenant, je suis de plus en plus déterminé à y arriver. L’enjeu en vaut tellement l’effort.
Enfin, je ne peux pas terminer cet article sans exprimer ma profonde gratitude envers mon fils pour m’avoir mis en contact avec ce merveilleux enseignement.