Le silence dit le vrai.
Dans ce charmant film qu’est Le Papillon, Michel Serrault joue le rôle de Julien, un collectionneur de papillons, pris pour s’occuper d’Elsa, une petite fille de huit ans, au cours d’une expédition en forêt. Elle est adorable, certes, mais incapable d’arrêter de parler. À un moment donné, exaspéré, Julien lui lance : « Dis donc! Tu respires quand, toi? »
Venu à Vipassana pour mettre fin à ce mal-être qui m’affligeait depuis tellement longtemps, découragé après tous ces cours, lectures et séminaires, et toutes ces autres choses que j’avais essayées jusqu’à maintenant, je fus d’abord déçu lorsque le Bouddha me demanda de commencer par faire un inventaire de cette souffrance, plutôt que continuer à courir dans tous les sens.
(Je mets ses paroles entre guillemets car, en faisant l’expérience directe de ces choses, c’est comme s’il s’adressait directement à moi.)
« Il n’y a pas d’autre solution que de commencer par calmer ton esprit, et regarder attentivement ce qui s’y passe, afin de mieux comprendre ce qui s’y passe. »
« Respire par le nez! », conseillait-il.
Ça me semblait plutôt « ordinaire » comme conseil, mais je me résignai à essayer. C’était différent, alors pourquoi ne pas tenter le coup?
C’est donc dans le silence de ma première rencontre avec Vipassana, en observant attentivement ma respiration, que je pus réaliser jusqu’à quel point mon esprit est comme Elsa : incapable de se taire, ne serait-ce que deux secondes, trop facilement DISTRAIT par ce va-et-vient continuel de reproches, de justifications et de fuites.
Ça prendrait pourtant ces 10 heures par jour pour arriver à comprendre que j’avais toujours fait et faisais encore tout sauf regarder ATTENTIVEMENT. J’avais développé l’habitude de tout de suite repousser, fuir ou masquer tout inconfort, physique ou mental, qui se manifestait à ma conscience; du simple picotement sur le nez aux plus pénibles souvenirs de ma vie, en passant par tout ce qui avait le malheur de me déplaire.
Petit à petit, je me mis à comprendre l’importance de ce petit mot qu’il avait ajouté dans son injonction: ATTENTIVEMENT.
Je commençai à réaliser que, pour arriver à voir ce qui est réellement à la source de ce mal-être, il me fallait développer cette faculté de conscience attentive, et cesser de courir dans tous les sens, tombant dans le piège de m’exciter dès que je pensais enfin « tenir la réponse », encore là, trop pris par mon état de panique.
« Lorsque tu prends conscience de quelque chose, que ce soit une sensation physique ou une pensée, c’est d’abord ce qui est en surface qui se manifeste. Dès que cette réalité te déplait, tu tentes immédiatement de la fuir, de la repousser ou de la masquer. Tu ne fais ainsi qu’agir sur le symptôme, et le soulagement n’est que temporaire. Il y a une autre réalité, mais cachée à ton esprit agité, et c’est celle-là qu’il faut arriver à voir afin de pouvoir agir dessus. »
Ce n’est que plus tard que je compris la véritable puissance de cette simple faculté de conscience attentive. C’est l’arme ultime pour déceler cette impulsion initiale qui précède toute pensée, et m’éviter ainsi d’y donner suite et de me faire sombrer dans les tourments de la colère, de la rancune, de l’anxiété ou de la déprime.
« C’est au moyen du silence de cette conscience attentive que tu pourras voir apparaitre cette impulsion, car elle passe à la vitesse de l’éclair. »
Respectant mes petits pas de bébé, après plusieurs jours d’entrainement, il ajouta: « Comme tu as pu le remarquer, ces impulsions se comptent par milliers, chaque heure, et sont très subtiles. Ce n’est donc qu’en étant CONTINUELLEMENT attentif, que tu pourras éviter d’y céder. »
Il y avait maintenant deux mots : attentivement et continuellement.
Lors d’une retraite Vipassana, dans le silence, seul avec soi-même, on tente de développer cette technique d’analyse de soi… implacable et en profondeur, au moyen de conscience attentive continue. C’est ainsi que l’on peut arriver à faire taire notre « Elsa » et laisser cette profonde réalité se révéler d’elle-même.
Si simple!
Si simple, en effet car, étant un être humain, la faculté de conscience attentive est présente en moi. Si simple, mais tellement difficile, car cette faculté est largement sous-développée. Elle l’est encore, croyez-moi 🙃
Le cours demande dix jours, car le Bouddha veut que nous fassions l’expérience de quelques victoires sur notre propre ignorance et quittions avec un embryon de confiance en soi. C’est avec quelques modestes succès que je suis sorti du cours avec cette impression de « Hey! Je peux y arriver! »
« Patience! », est cet autre conseil du Bouddha.
Un peu comme le jardinier averti qui ne déterre pas ses semences chaque jour pour vérifier si elles profitent, se contentant de dispenser les soins qu’il faut, le Bouddha nous demande de ne pas nous poser trop de questions, et de simplement faire le travail demandé, car toute spéculation ne ferait que retarder le développement mental sur lequel nous devons sans cesse travailler.
Je le vois maintenant : c’est le simple fait de marcher ainsi dans le sentier qui est si bon, et qui produit ses résultats depuis le tout début.
La photo est une gracieuseté de Les Anderson sur Unsplash
Pierre
C’est toujours avec grand plaisir que je lis tes publications. Il me semble que tu t’adresses directement à moi. À travers ces messages, le chemin s’éclaire lentement. Tu es mon GPS préféré et cela m’aide à corriger mon parcours.
Merci Pierre
Ouf! Ton commentaire risque de me monter à la tête! 😊 En fait, je ne fais que suivre l’enseignement du Bouddha. C’est plutôt lui, le GPS, car il m’aide aussi à corriger mon parcours!
Merci, René.
Toujours un plaisir de lire tes textes Pierre! Vraiment inspirant, et un bon accompagnement qui m’encourage à poursuivre ma pratique.
Ce sont des commentaires comme le tien qui me font conclure à une certaine utilité dans ces articles. Et c’est une motivation suffisante pour continuer.
Merci, Emmanuel.