Heureux sans méditer?

Je ne pourrais vivre heureux sans méditer.

Récemment tombé sur un extrait d’entrevue au cours de laquelle on demandait à Mathieu Ricard[1] s’il est possible de vivre heureux sans méditer[2], je me suis posé la question: « Pourrais-je vivre heureux sans méditer? »

« La méditation n’est pas un divertissement ni une quête hédonique de sensations éthérées. Elle peut même être tout à fait ennuyeuse, car elle vise à éroder nos tendances habituelles, C’est une pratique de toute une vie destinée à devenir un meilleur être humain en nous familiarisant avec la façon dont fonctionne notre esprit et en nous permettant de dissoudre l’animosité, l’attachement, le manque de discernement, l’arrogance et la jalousie qui empoisonnent notre vie et celle des autres, et d’atteindre ainsi à une plus grande liberté intérieure. Nous avons tous un esprit auquel nous avons à faire du matin au soir. Cet esprit peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi. Nous sommes un mélange d’ombres et de lumières. Mais nous avons aussi tous le potentiel d’entraîner notre esprit pour arriver à une manière d’être plus optimale. Pour ce faire, le bouddhisme offre une voie vaste et profonde, riche en méthodes. La méditation laïque, telle qu’elle est principalement pratiquée en Occident, n’est qu’un outil extrait de pratiques originaires du bouddhisme ou d’autres traditions spirituelles, qui peuvent être très bénéfiques, tout en ayant des visées beaucoup plus modestes, liées au bien-être, et non à l’atteinte de l’Éveil. »

Donc, peut-on vivre heureux sans méditer?

Et ma réponse est « non ». Mais un non qui demande une précision: je ne vais surtout pas prétendre que PERSONNE ne peut vivre heureux sans méditer. Ce serait plutôt présomptueux. Je dis seulement que JE ne pourrais vivre heureux sans méditer. Ça, j’en suis convaincu.

J’avais toujours cru que ces « choses de la vie » que sont colère, regrets, rancune, stress, inquiétude, tristesse, jalousie, etc. sont causées par les événements déplaisants qui pouvaient survenir: gestes ou paroles des autres, problèmes de santé, déboires financiers; en somme, tous ces « Pourquoi ça m’arrive à moi? »

Ma vie se déroulait ainsi, ponctuée de peurs, d’espoirs et de regrets, et je m’efforçais d’en modifier les circonstances déplaisantes ou d’en tirer parti le mieux possible, espérant que rien de trop fâcheux ne m’arrive, et tentant de profiter au maximum de ces moments de plaisir qui se présentaient… de plus en plus rares en vieillissant.

Ce n’est que grâce à cette pratique de méditation que je vois maintenant que colère, regrets, stress, inquiétude, tristesse, rancune et jalousie sont en fait des réactions aveugles, de vieilles et vilaines habitudes de mon esprit, et qu’elles sont évitables… optionnelles, pour dire autrement. Ce n’est que par cette pratique que j’ai pu aller à l’encontre de ma « conception » de la vie et réaliser par moi-même qu’il est parfaitement possible de me libérer de ce point de vue sclérosant et retrouver ainsi cette joie profonde qui m’avait toujours échappée.

Vipassana est surtout une technique visant à développer la sagacité, cette faculté de creuser, d’explorer en profondeur les processus les plus subtils de notre propre esprit afin d’en découvrir (et neutraliser) l’influence néfaste sur notre manière d’être.

Ces processus que sont colère, regrets, stress, inquiétude, tristesse et jalousie agissent de manière subtile, et je commence à découvrir par quels mécanismes ils ont une emprise sur la qualité de notre vie. Ils sont toujours présents, et lorsque les conditions sont propices, ils explosent, nous plongeant dans ces crises qui enrichissent la colonne des moments misérables, barouettés dans un état d’émotions conflictuelles, de passions et de désirs.

Ricard dit « Cet esprit peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi. » Je le vois maintenant, et je suis fermement déterminé à le dompter, cet esprit trouble-fête.

Lentement, pas à pas, je retrouve cette liberté dont je m’étais toujours privé. Je le constate jour après jour, car ces épisodes de colère, regrets, stress, inquiétude, tristesse et jalousie se font de plus en plus rares, de moins en moins intenses et de plus en plus brefs (quelques secondes, la plupart du temps).

Mais le travail n’est pas terminé, et ils ne sont pas disparus pour autant: je peux tomber sous leur emprise n’importe quand. (Ça m’est arrivé récemment.)

Je ne tente plus de modifier les circonstances de ma vie pour les rendre plus à mon goût, ou d’espérer que rien de fâcheux ou de souffrant ne survienne d’ici à ce que je quitte ce monde. (Plutôt platte comme vie, non?)

Je m’efforce plutôt de modifier mon propre esprit afin d’en reprendre le contrôle, de l’apprivoiser pour qu’il me serve plutôt que me nuise.

Ça demande de l’entrainement, et j’ai encore de l’ouvrage. Beaucoup d’ouvrage!😊

Ce « potentiel » d’une vie optimale, j’en ai fait mon projet de vie; une manière d’être parfaitement harmonieuse, que rien ne peut corrompre, pas même pour une seconde, et je pense que ce n’est que par cette forme de méditation que je peux y arriver.

[1] Mathieu Ricard est un moine bouddhiste d’origine française. Il a quitté une carrière en génétique cellulaire pour l’Himalaya, où il est devenu l’interprète du Dalaï Lama.

[2] https://www.parismatch.com/Vivre/Art-de-vivre/Matthieu-Ricard-La-meditation-permet-de-dissoudre-l-animosite-1648499

La photo est une gracieuseté de Daniela Cuevas

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