Let it be!
(Paul McCartney, The Beatles)
Au cours d’une conférence qu’il donna aux États-Unis, et pour s’amuser aux dépens de compatriotes qui trouvaient que bonheur est un vilain mot, le moine bouddhiste Matthieu Ricard déclara « Il semble que personne ne se lève le matin en se disant “Je souhaite souffrir toute la journée!” »
À moins d’exception, tous les humains souhaitent être bien, en paix, à l’abri de contrariétés et d’agitation, et nous travaillons fort pour y parvenir.
Malheureusement, c’est loin d’être acquis, nos journées étant assez souvent parsemées de colères, de stress, d’inquiétudes, de regrets, et de toutes ces émotions toxiques qui empoisonnent notre vie. Lorsqu’enfin tout semble être parfait, il arrive invariablement un événement (ou une personne) pour gâcher cette paix que nous espérions tant.
Alors nous réagissons avec aversion, haine, invariablement dirigée vers ce que nous percevons comme responsable de notre malaise.
Erreur?
Ayant été conditionnés à trouver une solution rapide à ce problème, nous avons développé le réflexe d’aller à ce qui saute immédiatement aux yeux. « Maudits cônes orange[1]! »
C’est dans le laboratoire de mes méditations quotidiennes, et en m’observant attentivement que j’ai pu découvrir — et parfois comprendre — que la responsabilité de ces contrariétés ne se situe pas à l’extérieur de moi, mais réside dans ma propre réaction. Elle n’est pas dans les « cônes orange », mais dans les « Maudits… cônes orange! » Les cônes sont à l’extérieur. Le maudits, lui, est en dedans.
Non seulement la réaction génère la souffrance, mais je peux affirmer que réaction EST souffrance.
Alors la solution est simple, non? Pas de réaction, pas de souffrance.
Par contre, c’est plus facile à dire qu’à faire, car la réaction se produit tellement vite qu’on n’a pas le temps de l’éviter. Et c’est là tout le problème : on ne voit pas venir. Dès que l’on prend conscience d’une émotion, il est trop tard : on est dedans. Submergé.
Est-ce dire que nous sommes condamnés à subir ces tempêtes, prisonniers de notre propre mental? Non. Il y a de l’espoir, une toute petite fenêtre d’opportunité que le neuroscientifique Benjamin Libet étudia et nomma « droit de veto ».
C’est en mesurant l’activité électrique du cerveau que Libet vit qu’il s’écoule environ un tiers de seconde entre l’impulsion inconsciente de poser un geste et la décision consciente de le poser. Même pas un clignement de l’œil. C’est ce qu’il appela le potentiel évoqué primaire. Dans sa célèbre étude[2], Libet a été capable de prédire le geste que poserait un sujet avant même que celui-ci le décide, et cela avec un taux de succès de plus de 80 %. En d’autres mots, nous pensons être celui ou celle qui décide d’une action, mais la décision a été prise avant même que nous le sachions. Dans l’inconscient. Nous ne faisons qu’exécuter une commande.
Il va sans dire que cette étude causa tout un tollé dans le monde de la psychologie et de la philosophie, car elle remettait en cause l’idée même du libre arbitre. Comme le confirmèrent d’autres scientifiques, plus tard, être l’auteur de ce que l’on fait, et même de ce que l’on dit ou pense est une impression subjective, pas une réalité.
Libet vit que cette fraction de seconde (300 ms) constitue un « droit de veto », c’est-à-dire, un instant — fugace, certes — au cours duquel il est, avec de l’entrainement, parfaitement possible de ne pas réagir, et de retrouver le libre arbitre.
Le Bouddha avait découvert l’existence de ce « droit de veto » voilà 2500 ans, et en décrivit le fonctionnement avec grande précision. Il expliqua de quelle manière, par la méditation, on peut entrainer son esprit pour « agrandir » cette fenêtre d’opportunité.
C’est ce que nous tentons de développer lors d’une retraite de méditation Vipassana : voir venir l’impulsion avant qu’elle prenne le contrôle de notre esprit.
C’est dans ce camp d’entrainement pour l’esprit que nous apprenons, avec patience et persévérance, à prendre conscience du moindre mouvement intérieur et, surtout, à ne rien faire. Laisser être.
Let it be!
Il ne faut surtout pas voir cela comme de la répression, mais plutôt comme de l’élimination par attrition. Il ne s’agit pas d’éteindre le feu en y mettant de l’eau, mais tout simplement de cesser d’y ajouter du combustible, et laisser le feu s’éteindre de lui-même.
Ainsi, graduellement, petit à petit, nous nous défaisons de cette vilaine habitude de produire de la colère, de la haine, du stress, de l’anxiété ou de l’amertume.
Comme pour la pratique d’un sport ou d’un instrument de musique, maitriser son esprit est un art que l’on doit pratiquer continuellement. Un art de vivre qui nous amène à être en action plutôt qu’en réaction.
Bien sûr, encore bien loin de parfaitement contrôler mon esprit, je cède encore souvent à l’impulsion, et je réagis… me rendant moi-même malheureux, agité. Les mauvaises habitudes étant tenaces, la colère est toujours présente; la haine et la jalousie aussi, profondément enfouies, rapides à se manifester lorsque les conditions s’y prêtent.
Par contre, étant de plus en plus attentif à ce qui se passe en dedans, je peux mieux voir venir ces impulsions, et ainsi exercer mon « droit de veto ».
Ce qui est remarquable avec cette technique, c’est que les résultats sont apparus très rapidement après ma première retraite. Au fil des séances quotidiennes de méditation, les moments de colère, de haine ou de jalousie se sont faits de plus en plus rares, de plus en plus brefs, et surtout, moins intenses.
Par conséquent, je suis de plus en plus convaincu qu’il est possible de nous libérer de tout ce qui nous empêche d’avoir une vie pleinement satisfaisante, libre de toute contrariété.
N’est-ce pas ce que nous souhaitons? En tout cas, c’est ce que je vous souhaite.
[1] Balises routières que l’on retrouve (en grand nombre au Québec) sur les chantiers de construction.
[2] Benjamin Libet et le PEP http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_12/d_12_s/d_12_s_con/d_12_s_con.html#2