Le juge

Le regard que l’on porte sur l’autre
est toujours faussé, toujours biaisé.

Mise en garde: J’écris sur mon expérience avec la méditation Vipassana, afin de partager les bienfaits que j’en ai tirés et que j’en tire toujours. Si parfois je dis les choses avec autant d’assurance, c’est que je l’ai constaté chez moi. Ce travail de méditation a comme objectif d’arriver à voir comment la vraie nature des choses… derrière les apparences. Et de le faire dans le cadre de son propre corps et de son propre esprit. Je tiens à le préciser: je suis en route, mais loin d’y être arrivé.

Avant de pouvoir connaitre la vraie nature des choses, je dois commencer par faire du ménage dans ma tête. Et il y a beaucoup de ménage à faire: ça je le sais. ?

Cette mise en garde m’amène à mon propos.

C’est dans le silence de cette forme de méditation que je peux découvrir ces tendances cachées qui me font penser et agir. C’est dans les rares moments où je réussis à « me faire taire » que la vérité peut se manifester, ce qui m’a permis de réaliser, entre autres choses, que tout ce que je peux dire sur moi est biaisé. Je commence à en comprendre la mécanique et découvrir que tout ce que je peux dire sur moi (ou sur les autres) est le produit d’une comparaison. Autrement dit, je ne me regarde pas vraiment: je me compare. Et cette comparaison est, bien sûr « arrangée » à mon avantage.

C’est ainsi que, bien installé sur le piédestal de mon arrogance, je regarde le monde et j’émets mon verdict : « Un tel est comme ci, une telle est comme ça. Ce politicien est un menteur. Je suis déçu de telle personne. Le système est pourri. » Et je pourrais continuer comme ça longtemps.

Le monde gravite autour de moi, juge « objectif et impartial », et j’y navigue en fonction de l’opinion que je m’en suis faite (et à laquelle je tiens).

En fonction de ce « je sais », je pense le monde et j’agis.

Et Vipassana me dit: « Pas si vite! Est-ce que le monde est RÉELLEMENT comme il t’apparait? Comment le sais-tu? Comment peux-tu en être si certain? »

« Ne devrais-tu pas commencer par vérifier si tes lunettes sont propres? Connaitre cet instrument qui te fait juger le monde? »

Et je me rappelle que lorsqu’il braqua son télescope sur Saturne, Galilée avait conclu que la planète avait deux lunes. Il avait commis cette erreur, car il ignorait que son télescope comportait des défauts qui donnaient une image faussée de la réalité: il voyait vraiment deux lunes. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’on a réalisé, grâce à de meilleurs télescopes, que les « deux lunes » étaient en fait des anneaux.

Loin de moi l’idée de me comparer à Galilée, mais, comme lui avec son télescope, mon ignorance du fonctionnement de mon propre esprit me fait persister dans l’erreur, allant même jusqu’à refuser d’admettre la possibilité que je me trompe. « Il (ou elle) est égoïste! Un point c’est tout! Je le sais! ». Jugement final et sans appel.

Et c’est ainsi que mes relations avec les autres ont souffert. Souffert de ma propre illusion, remettant la responsabilité à l’autre, et refusant de reconnaitre la mienne.

Déprimant, non? Heureusement, Vipassana me donne le moyen de m’en sortir.

Petit à petit, à m’efforcer de développer cette faculté de « voir les choses telles qu’elles sont en réalité », cachées derrière le voile de mes certitudes, je commence à découvrir les failles de mon propre cerveau, et réaliser qu’il ne sait pas faire la différence entre apparence et réalité.

De manière concrète, dans le train train de tous le jours, je n’avais jamais réalisé jusqu’à quel point ce que je pouvais dire — de moi ou des autres — est toujours le résultat d’une apparence… d’un semblant de réalité.

Et cette perception ne dit strictement rien, ni sur moi, ni sur les autres. Tout jugement que je porte sur une personne est nécessairement un mensonge.

De manière toute naturelle, un dégoût envers le fait de juger s’est installé, sans que j’aie à forcer.

Le travail de Vipassana consistant à développer la faculté de percevoir les sensations physiques les plus subtiles, j’ai découvert que lorsque je suis engagé dans un épisode de jugement, j’en suis la première victime. Ce regard sévère que je pose sur l’autre ne l’affecte pas, lui. Il m’affecte, moi: je me sens mal… physiquement.

Alors comme je n’aime pas me sentir mal, je mets très rapidement fin à toute cette fermentation mentale inutile, et l’harmonie revient automatiquement.

Bien entendu, je ne suis pas encore libéré de cette arrogance qui me fait juger à tort et à travers, mais je peux affirmer que ce dégoût que je nourris envers le jugement et la capacité grandissante à y mettre fin a fait que ces épisodes se font de plus en plus rares et durent de moins en moins longtemps.

Et je me sens mal moins souvent. Yé!

Print Friendly, PDF & Email
Si vous pensez à quelqu'un à qui cet article pourrait être utile, partagez-le.

4 réflexions au sujet de “Le juge”

  1. Quelqu’un disait : « La réalité n’existe pas; seule la perception est réelle ».
    Assertion qui m’a toujours marquée.
    Et qui m’a aidée, je pense, à m’ouvrir à l’autre et à me comprendre. Parce que ce que je perçois de l’autre n’est qu’une petite facette de ce qu’il est, comprise dans une multitude d’autres. Nous sommes tous le résultat d’une vie chargée d’expériences de toutes sortes et lorsqu’il nous est possible de les entrevoir, il est plus facile de comprendre et d’éviter le jugement.
    Vrai pour l’autre mais aussi pour soi.
    Le tumulte du quotidien nous empêche trop souvent de voir au-delà de ce qui nous fait réagir intérieurement.
    Merci Pierre pour ce partage.

    Répondre
    • Merci pour les deux, Karl. Et pour le « très bien écrit », venant de quelqu’un qui lui-même écrit si bien, c’est un honneur.

      Répondre