Prisonnier du miroir

« Le monde extérieur est le reflet de notre monde intérieur. »

C’est à la lecture d’un commentaire de Caroline, en réponse à Le Bouddha et l’expérience directe, que j’ai réalisé jusqu’à quel point il est crucial de pouvoir CHOISIR où regarder.

Lorsqu’on regarde le monde, c’est-à-dire l’extérieur, on a une manière particulière de le voir.

Les politiciens profitent du système, le pétrole mène le monde (« non, c’est les banques »), la société de consommation met notre environnement en péril, les choses se sont grandement améliorées, les changements climatiques sont inquiétants, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, trop d’immigrants, pas assez d’immigrants, on devrait abolir les religions… et les frontières, c’était beaucoup mieux avant, l’écart riches-pauvres est intolérable, etc. Autant de points de vue que d’individus sur Terre.

On a aussi notre opinion sur les gens qu’on connait : elle est trop comme ci, il n’est pas assez comme ça, c’est un égoïste, elle est extraordinaire. On connait le reste.

Le problème n’est pas tant notre point de vue sur le monde ou les gens qui le peuplent que ce qui vient ensuite : certains vont développer de l’anxiété face aux changements climatiques, d’autres, non; certains vont être déçus de leur conjoint, d’autres, nourrir de la haine face à la « petite clique » qui dirige le monde, et plusieurs envieront la richesse des autres ou couperont les liens avec ceux qui étaient des amis.

Ces exemples en apparence bien différents sont pourtant dans la même liste, car ils ont tous un point en commun : ce sont des réactions à une façon particulière de voir les choses… ou les gens.

Et c’est ici que le « choisir où regarder » s’avère crucial. En ne regardant qu’à l’extérieur, on risque de croire que ce qu’on voit est la seule réalité, que les politiciens profitent VRAIMENT du système (pour employer un exemple). On entre alors en réaction : une publication sur Facebook ou une manifestation pour dénoncer ces « politiciens corrompus », par exemple. « Je suis en colère à cause de ces politiciens corrompus », encore pour poursuivre l’exemple.

Mais une réaction — par définition — n’est PAS un choix. Où est le choix, si nous n’avons qu’un seul point de vue?

Vipassana propose de regarder d’une autre manière, pour véritablement avoir la possibilité d’un choix. Regarder à l’intérieur, plutôt que seulement regarder à l’extérieur. C’est-à-dire regarder ce qui se passe à l’intérieur de nous — moment par moment, afin de découvrir et comprendre comment sont conditionnées et se forment notre perception et notre opinion des choses et des gens, et pourquoi nous sommes portés à RÉAGIR comme nous le faisons.

C’est bien logique : comment pouvons-nous prétendre avoir une vision nette et juste du monde si nous ne comprenons pas clairement comment fonctionne notre mécanique interne.

Galilée a été le premier à observer la planète Saturne en 1610 au moyen d’un télescope de sa fabrication. Celui-ci étant plutôt rudimentaire, Galilée ne vit pas les anneaux de Saturne comme ils sont réellement, mais plutôt comme deux grosses boules.

Comme il était ignorant des défectuosités de son appareil, il en conclut que Saturne comprenait deux grosses lunes, et c’est ce qu’il déclara.

Ce n’est que beaucoup plus tard que les progrès du télescope firent qu’on put voir les anneaux de Saturne. Mais Galilée est mort dans l’ignorance de la réalité de la planète.

C’est ce que Vipassana propose : vérifier si notre propre esprit ne comprend pas de ces particularités, de ces « défectuosités » qui nous font croire que nous détenons la vérité sur le monde et sur les autres humains.

Les scientifiques savent maintenant que notre cerveau nous joue des tours, mais nous devons le découvrir par nous-mêmes, en observant COMMENT il le fait.

Je n’entrerai pas dans la technique sauf pour dire qu’elle nous aide à développer une faculté que nous possédons tous, mais qui est très sous-développée, celle de voir les choses telles qu’elles sont réellement, plutôt que comme elles nous apparaissent.

Autrement dit, « voir les choses telles qu’elles sont réellement » est un aboutissement, fruit d’un travail patient et rigoureux, afin de pleinement comprendre les rouages de l’expérience humaine.

Je suis LOIN d’être rendu là 😉 Je comprends graduellement que lorsque je regarde le monde (ou les gens), c’est mon état d’esprit que je regarde. Petit à petit, je réalise que la perception n’est pas quelque chose de passif, mais un élément actif. Une expérience subjective. Je ne regarde pas réellement le monde, mais l’opinion que j’en ai. C’est un peu comme me regarder dans un miroir. Je crois regarder le monde, mais c’est moi que je vois.

Cette ignorance de mon propre fonctionnement me fait croire que je détiens la vérité au sujet du monde et des gens. Et j’y tiens mordicus. « Malheur à celui ou à celle qui dira le contraire! »

Et voilà! Nous y sommes arrivés : c’est cet attachement à mon point de vue qui me garde prisonnier du miroir, attaché à mes propres opinions.

Comment me libérer de cette prison?

En cultivant le détachement. Et c’est cet entrainement à « voir les choses telles qu’elles sont réellement » qui m’aide à affaiblir petit à petit cet attachement qui est à la source de tous mes problèmes.

Et comme le dit Caroline, « ça demande beaucoup d’entrainement ».

Ça peut sembler paradoxal, mais en cessant de ne regarder qu’à l’extérieur, et en tournant mon regard vers ce qui se passe en dedans, je découvre maintenant combien je veux protéger mon image. (Protéger son image fait partie des rouages de l’expérience humaine.) Je commence — lentement — à me libérer de cet attachement que je nourris envers mes perceptions, mes pensées et ma façon de voir le monde; à graduellement affaiblir cette infatuation pour qui je crois être, cet amour excessif envers ma propre image. (Et croyez-moi, j’ai du chemin à faire 😉 )

Je suis convaincu qu’il est absolument essentiel de porter son regard à l’intérieur. Premièrement pour comprendre que « prisonnier de son propre miroir » n’est pas une vue de l’esprit, mais une réalité. Deuxièmement, pour en découvrir la cause : l’attachement. Troisièmement, pour travailler à s’en libérer.

La photo est une gracieuseté d’Alex Iby

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