« Vivre de manière paisible et harmonieuse est un art » (Dalaï-lama)
Dans l’article Un bon investissement, j’évoque les 5000 heures que j’ai consacrées à la méditation Vipassana depuis 2011, espérant rassurer et répondre à « S’il faut investir 5000 heures pour trouver la paix, est-ce que ça vaut le coup? », « Est-ce que ça ne risque pas de décourager? » ou bien « N’y a-t-il pas un meilleur moyen pour y arriver? Un moyen plus rapide? »
Ça n’a pas réussi… du moins auprès de quelques bons amis (et critiques).
Je me reprends donc, toujours avec cette belle citation du Dalaï-lama : « Vivre de manière paisible et harmonieuse est un art ». Un art de vivre.
Nous avons tous des moments de paix et d’harmonie, et ils se manifestent chaque jour à des degrés divers. Chacun sait pourtant que ces beaux moments sont, parfois ou plus souvent, interrompus par des épisodes de colère, d’anxiété, de déprime ou de frustration. Ce que personne ne veut, cela va sans dire.
Ces contrariétés ont toujours tellement été présentes dans nos vies que nous sommes arrivés à les considérer comme « normales », faisant partie de l’existence; acceptables pourvu qu’elles ne soient pas trop nombreuses ou trop intenses. Des « fausses notes » occasionnelles qui ne défigurent pas de manière irrémédiable la musique de notre vie, et nous laissent quand même l’impression générale de vivre de manière paisible et harmonieuse.
Je me souviens des cours que j’avais suivis avec un professeur de piano reconnu. J’arrivais aux leçons, fier de moi, capable d’exécuter les pièces sans fausses notes. Fierté ô combien trompeuse, malheureusement, causée par cette impression d’avoir bien joué la pièce.
Le professeur, avec beaucoup de tact, et cachant soigneusement son dégoût, s’efforçait de me faire comprendre que faire de la belle musique ne se résume pas à éviter les fausses notes. Ce n’est que le prérequis. L’art de jouer du piano consiste à développer la finesse de son oreille, afin d’améliorer la qualité de chacune des notes « soi-disant justes » pour qu’elles arrivent à être belles.
Je le voyais bien : un même passage, même court, exécuté par lui, était tellement plus agréable à entendre. Et pourtant, c’étaient les mêmes notes.
J’aime bien cette analogie, car elle donne une bonne idée de deux parties intégrantes de Vipassana.
Tout d’abord, commencer par réduire ou éliminer les fausses notes, c’est-à-dire ces moments de tristesse, de regret, de colère ou d’anxiété qui peuvent se manifester sans avertissement. Après avoir atteint un bon degré de calme, sans trop de distractions, on peut alors commencer à travailler plus en profondeur et en finesse.
Vient le développement de la sagacité (la signification réelle de Méditation Vipassana[1]), cette faculté de pénétrer et comprendre ce qui est derrière le voile des apparences. Graduellement, libre de tout élément discursif, l’esprit s’affine et perçoit les sensations corporelles les plus subtiles, nous permettant de prendre conscience de ces moindres pensées qui affectent chaque instant de notre vie.
Et on en a beaucoup. Beaucoup. Avec le perfectionnement des instruments d’aujourd’hui, la science fait état d’au moins 75 000 pensées par jour, se succédant à une vitesse folle dans l’esprit humain, et conditionnant, sans qu’on s’en rende compte, chacune de nos émotions, la moindre de nos paroles et chacun de nos gestes.
Plus je creuse et que je vois parader ces multiples pensées, plus je réalise que j’ai toujours généré des négativités — et j’en génère encore beaucoup 🙂 Elles se développent d’elles-mêmes, sous la surface, en cachette. Ça m’a permis de découvrir qu’en profondeur, mon esprit est en agitation presque constante, même si j’ai l’impression d’être paisible et calme.
Cette nouvelle « sensibilité » qui se développe fait aussi que je réalise combien ces négativités sont déplaisantes. Je m’aperçois d’un dégoût grandissant pour ces sales habitudes que sont la rancune, la médisance, l’envie, l’anxiété et la déprime, augmentant ainsi la motivation de les détruire une fois pour toutes.
En m’efforçant de développer la finesse de mon « oreille » intérieure, il m’est graduellement plus facile de « voir venir » une négativité avant d’en être envahi. C’est ainsi que mes moments de colère, de peur, d’anxiété ou de déprime sont devenus plus espacés et, parce qu’ils moins intenses lorsqu’ils se manifestent, je suis plus apte à y mettre fin, avant d’y céder.
Bien sûr, c’est encore fragile, mais j’y arrive… lentement mais sûrement.
Ces 5000 heures de méditation assise sont de l’entrainement, des séances de gym, destinées à promouvoir cet état de conscience attentive dans ma vie quotidienne, me permettant de vivre de manière paisible et harmonieuse, peu importent les circonstances.
Le vrai bienfait est ce qui se passe ENTRE les séances, le nombre grandissant d’instants où j’ai pu « jouer » sans fausses notes, apparentes ou inconscientes, autant de moments de paix et d’harmonie gagnés depuis ma première retraite, en 2011.
C’est impossible à compter, mais ça fait beaucoup plus que 5000 heures. Et leur nombre ne cesse d’augmenter.