Indépendance

L’espoir est la peur dans un beau costume.

Comment se fait-il qu’une technique si simple soit tellement difficile à maitriser? Après tout, il ne s’agit que de parcourir le corps et d’observer les différentes sensations qui s’y manifestent. Jour après jour, au début de chacune des séances, l’enseignant nous le rappelle: « apprenez à observer, objectivement! »

Aveuglé par la surévaluation de mes facultés mentales, c’est au prix d’échecs répétés que j’allais enfin — pour la première fois de ma vie — me rendre compte de ma propre incapacité à justement voir les choses de manière objective.

C’est dans ce « bain de réalité » que je pus découvrir que mon esprit avait développé cette habitude de « détourner le regard » au moindre inconfort — physique ou mental — et de chercher immédiatement à y mettre fin, plutôt que tenter de comprendre la nature et les mécanismes mentaux qui sont à la source de cet inconfort. En ça, ce n’est pas très différent du bébé qui, ne comprenant pas ce qui lui arrive, et désemparé par sa faim ou par une douleur quelconque, appelle au secours et implore (pleure) un agent extérieur de venir immédiatement à son secours.

Jour après jour, cet agaçant poing dans le dos me faisait soit changer de position, soit prier que le temps passe plus vite, pour qu’enfin je sois libéré de ce « supplice ». Je me mettais parfois à rager contre l’enseignant, pensant qu’il avait dépassé l’heure et oublié de donner le signal de la fin.

Pourtant, ce sont justement ces échecs répétés qui allaient me renforcer et, très graduellement, me rendre capable de regarder la douleur sous un autre angle, tout en conservant l’équilibre de mon esprit au lieu d’espérer le soulagement d’un changement de position ou de la fin de la séance.

Ces heures de méditation constituaient une « fenêtre » qui me permettrait de comprendre mon comportement de tous les jours.

Ça devenait de plus en plus clair: un ennemi important de ma vie avait toujours été l’espoir.

Lorsque je suis venu à ce cours, « j’espérais » qu’on me soulage de mon mal-être. Mais, au fil des heures et des jours, le message du Bouddha devenait de plus en plus clair: « Va falloir que tu fasses des efforts, mon chum! Je ne vais pas faire le travail pour toi! »

Je compris que, plutôt que me fier à moi-même, je m’étais toujours fié à l’extérieur, à la clémence du destin, pour m’éviter toute situation désagréable ou me soulager de tout inconfort, constamment déçu par toutes ces petites contrariétés quotidiennes ou par les grands épisodes d’angoisse ou de colère.

Je compris que c’est l’inquiétude qui me faisait « espérer » que rien d’indésirable ne m’arrive. Je m’inquiétais que ce que je désire risquait de ne jamais se produire, ou je trouvais le moyen de m’inquiéter de perdre ce que j’avais (santé, famille, argent, réputation).

Je compris que vivre d’espoir, c’est vivre d’inquiétude. Vivre de peur et peur de vivre. Je compris également que l’espoir est statique, non opérationnel : assis sur mon derrière à attendre que les choses aillent dans le sens espéré.

Ou bien, assis sur ce même derrière, espérant passer à travers la vie sans qu’il m’arrive d’épreuve majeure, de « merde », comme le disent les Français. « S’il te plait, la vie, ne me fais pas mal! »

« La mort ne me fait pas peur, mais j’espère ne pas souffrir. », pensais-je souvent.

Je me revoyais prier pour cette augmentation de salaire qui allait enfin me donner les moyens de la maison dont je rêvais, inquiet qu’on ne me l’accorde pas.

Ou bien « Si on pouvait juste trouver un moyen de guérir le cancer, au lieu de produire des armes. », espérant que ça n’atteigne pas un de mes proches… ou moi.

Les yeux toujours fixés sur ce futur que je craignais ou espérais, je ne voyais même pas ce que j’avais. Au lieu de comprendre ce qui se passait, je me faisais une raison en me comparant avec les autres. « Quand on compare on se console ». Sur le coup, oui, ça me réconfortait. Mais ça ne durait pas très longtemps.

Au lieu de faire quelque chose d’utile en me préparant à affronter calmement tout ce qui pourrait survenir, je faisais l’autruche: « Peut-être que s’y je n’y pense pas, ça n’arrivera pas. »

Je ne voyais pas le danger de cette passivité, mais la vie me fit comprendre que ce n’est pas comme ça que ça se passe: il arrive toujours quelque chose. C’est avec ces espoirs déçus que naissent résignation, colère et amertume.

Ces jours d’immersion dans l’expérience directe m’ont permis de commencer à comprendre que la cause de toutes ces contrariétés, de toutes ces inquiétudes n’est jamais à l’extérieur de moi, mais réside dans ma propre manière de penser, dans ma propre manière de voir.

Et c’est ainsi que se développe la confiance.

Pas de cette confiance naïve du « rien ne m’arrivera », ou bien du « les choses vont s’arranger », mais plutôt d’une confiance en ma capacité grandissante à faire face à tout ce qui peut arriver. À tout ce qui va arriver.

Toute la différence entre « dépendre » des événements et « dépendre » de moi-même.

C’est comme ça que l’espoir s’est envolé.

Ça tombe bien: je n’en ai plus besoin.

unsplash-logoLa photo est une gracieuseté de Samuel Ferrara

Si vous pensez à quelqu'un à qui cet article pourrait être utile, partagez-le.

8 réflexions au sujet de “Indépendance”

  1. Merci Pierre pour ce texte inspirant. Très bon de lire ça vu les circonstances. J’ai longtemps vu l’espoir comme la solution, sans vraiment comprendre ce que ça impliquait.

    Répondre
  2. Ce texte arrive au bon moment dans ma vie en me rappelant que tout est en nous et non à l’extérieur. Être responsable et ne pas fuir cette responsabilité quelle que soit la situation, c’est le plus important; alors là tout peut être possible !
    Merci pour ce rappel !

    Répondre
  3. Très beau texte!! Je me suis souvent dit que quand on a pas d’attentes, on évite la déception. Mais l’espoir qu’il n’arrive rien de majeur qui viendra défaire l’équilibre fragile dans lequel je « pense » que je suis, ça c’est une autre histoire!

    Répondre
    • Ton commentaire est très pertinent, Virginie, car il illustre très bien que l’élimination de l’espoir ne peut pas se faire « par la force du désir ». Ça doit arriver tout seul, de manière naturelle. Lorsque je dis que je n’ai plus besoin de l’espoir, c’est parce que ç’a été remplacé par la confiance en mes propres moyens. Et cette confiance grandissante est le fruit de ces années de Vipassana.

      Difficile à expliquer, j’en conviens, mais c’est comme ça. C’est un peu comme regarder une pratiquante de yoga qui réussit à s’arquer le dos par en arrière jusqu’à toucher le sol. On dit que c’est impossible; mais elle y est arrivée, après des années de pratique. Et elle n’est pas la seule.

      En répondant à ton commentaire, j’ai trouvé le sujet de mon prochain article 😀

      Merci!!!

      Répondre

Merci de laisser un commentaire!