On m’attaque!

L’art d’être malheureux… ou Comment tout ramener à soi

Voilà quelques années, après une méditation du soir, j’ai vu le courriel d’un ami, à la lecture duquel je me suis senti insulté. « Pour qui se prend-il, me dire une chose pareille? Comment ose-t-il? » Après ces quelques instants de grogne, je me suis mis à rire; pas du courriel, mais de moi; de ma réaction. Et je suis allé me coucher, en me moquant de moi-même. « Me dire ça… à Moi! »

Et je me suis endormi paisiblement.

Il y a quelques années, au lieu de m’endormir, j’aurais ruminé une réponse au « courriel outrageant ». Une riposte subtile, mais assassine. Comme on dit ici : « Quin toé! » Je me serais peut-être même levé pour aller griffonner un début de réplique, de peur d’oublier cette perle que j’aurais fini par trouver. Non content d’avoir expédié cette réponse dévastatrice, j’aurais entretenu de la rancune pendant au moins quelques jours, voire plusieurs semaines ou même plus, de sorte que, lors d’une éventuelle rencontre, je me serais rappelé son commentaire. La conversation aurait ainsi été biaisée, obscurcie par le souvenir de cet « affront ».

Je ne risque pas de me tromper en disant que nous avons tous des « boutons », sur lesquels il est risqué pour quiconque d’appuyer. Boutons à fleur de peau. Boutons à sensibilité variable. Boutons à retardement. Boutons à haute tension. Boutons gonflables… qui accumulent silencieusement et qui explosent tout d’un coup. Et boutons nucléaires (la rage au volant en est un bon exemple).

À la méditation du lendemain — et c’est là que ça devient intéressant —, le souvenir de cette lecture me procurant presque autant de déplaisir que la veille, je me suis surpris à entretenir l’idée de dire ma façon de penser à mon ami.

Revenant à l’objet de la méditation, observant objectivement ce qui se passait à l’intérieur, je réalisai que ma réaction n’avait rien à voir avec le courriel de la veille, ni même avec son souvenir, mais plutôt avec la sensation corporelle déplaisante qui s’était manifestée.

Ce n’était pas le courriel ou son souvenir qui était déplaisant, mais une sensation physique. Et c’est à ça que je réagissais.

Je compris aussi que, au moment de cette idée de vengeance, j’étais sous l’emprise d’une puissante illusion, car même si j’étais dans la sécurité de ma maison, le cerveau croyait que c’était ma personne physique, réelle, qui était agressée.

J’avais appris une importante leçon : nous entretenons notre propre misère en réagissant à des sensations physiques. Les paroles que l’on entend, les mots qu’on lit, un souvenir qui revient, tout ce qui se manifeste à notre conscience produit une sensation physique. Et plus la sensation est intense, plus la réaction est forte. (La rage au volant, encore.)

Ce sont les sensations physiques qui donnent leur réalité à toute chose. C’est par les sensations que l’on ressent l’expérience.

À force d’observer attentivement, on finit par découvrir qu’on ne peut pas parler de réalité objective, car c’est notre propre esprit qui « subjectivise » cette réalité extérieure. C’est la raison pour laquelle on a tendance à tout ramener à soi, ou, comme on dit ici, « à le prendre personnel ».

Le courriel de mon ami n’était pas insultant en soi : c’est mon esprit qui l’a transformé en objet que j’ai ressenti comme déplaisant.

En d’autres mots, je ne lisais pas les mots : je les ressentais.

Cette technique d’observation de soi qu’est Vipassana nous apprend à être attentifs à notre expérience intérieure, et ainsi voir venir l’agitation, évitant ainsi d’en être envahis. Un signal d’alarme, en quelque sorte.

Bien que je sois de plus en plus habile à « m’attraper au vol », je me laisse encore bien souvent piéger.

La bonne nouvelle est que cette tendance à être vexé, à être contrarié, est en train de s’affaiblir de plus en plus. Ou, s’il m’arrive de l’être, je le demeure moins longtemps. Les boutons sont en train de disparaitre, je pense.

Je suis convaincu que ces heures de méditation introspective m’ont aidé à développer une force intérieure que je n’avais pas.

Je sais maintenant que tout sentiment de contrariété ne peut JAMAIS être causé par ce que j’entends, que je vois… ou que je lis ?

Sans le savoir, au fil des ans, par nos réactions négatives, nous avons « entrainé » parents et amis à être prudents. À éviter de nous dire réellement ce qu’ils auraient eu envie de nous dire. À nous mentir parfois. « Il va mal le prendre. »

Je suis convaincu que Vipassana nous donne la liberté de recevoir, remettant aux autres une liberté d’être que nous leur avons enlevée.

De l’amour inconditionnel? Je ne sais pas. Mais je pense que ça y ressemble.

 

unsplash-logoLa photo est une gracieuseté de Jack Millard

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8 réflexions au sujet de “On m’attaque!”

  1. Très intéressant, cet article. Cela me fait penser à mes premières années en Psychoéducation comme éducateur. En supervision, je rageais tout le temps en disant au coordonnateur: « Il m’a fait ça! Ç’a pas d’allure; on peut pas accepter cela! » Et je cherchais toujours à donner des conséquences à ces gestes.

    Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il ne ME faisait pas ça, mais il faisait ça. C’est toute la différence du monde et alors, comme éducateur, je pouvais l’accompagner dans la prise de conscience des conséquences qu’il vivait en agissant de cette façon (les gens s’éloigne de lui, il devient isolé dans le groupe), au lieu de nourrir sa rage après moi, parce que je lui ai donné une conséquence.

    Je ne sais pas si ce petit mot résonnera pour toi, mais pour moi, il a fait toute une différence dans la poursuite de mon rôle d’éducateur et aussi d’humain en relation avec les autres.

    André

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    • Certain que ton mot résonne pour moi, André. Tu te rends compte de ce que ç’aurait comme impact sur les relations entre humains si tout le monde pensait comme ça? Finis, les conflits!

      (Merci de ton commentaire, car il m’a inspiré un prochain article!)

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  2. Bel article, Pierre.

    C’est vrai que la pratique nous permet de garder une distance et de ne pas subir nos perturbations mentales: passer du mode RÉACTION au mode CRÉATION. Ce sont les mêmes lettres, mais ces deux agencements ne nous mènent pas du tout au même endroit.

    Je pars faire un petit cours de 3 jours le 22 novembre à Montebello. Je penserai à vous, la gang du comité pour enfants.

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    • Toute une différence, en effet. Je te souhaite un beau 3 jours, Caroline. Je te suivrai de près, du 29 novembre au 10 décembre, pour continuer d’apprendre à ne pas « subir » mes perturbations mentales.

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    • Je suis heureux que ça t’ait fait du bien, Estelle. Ne le dis à personne: moi aussi, je dois le relire de temps en temps 😉

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