Un art de vivre

Pardon d’avance pour la longueur de cet article.

« Qu’est-ce que ça te donne de méditer autant? », « Es-tu certain que c’est pas du lavage de cerveau? », « Est-ce que tu ne te coupes pas de la vie? » ou encore « T’es pas un peu trop centré sur toi? »

Ces questions — et bien d’autres qu’on n’ose peut-être pas me poser — sont légitimes, et je serais plutôt malvenu à les juger ou à les rejeter. (D’autant plus que je me les suis presque toutes posées, ces questions 🙂)

D’ailleurs, au début, voyant Vipassana comme une « activité » que je pratiquais, je me surprenais parfois (souvent) à dire « la méditation, y’a pas juste ça dans la vie! »

Je ne sais pas comment tout cela a évolué, mais je réalise maintenant que je suis engagé dans un cheminement dont Vipassana est une partie seulement, et qu’on nomme le Dhamma.

Ce cheminement, le Bouddha invite à l’entreprendre si on souhaite trouver paix et harmonie durables dans sa vie.

Il nous a fourni une « carte routière » pour nous orienter sur le chemin, et qui couvre tous les aspects de la vie : l’Octuple Noble Sentier. Rien d’ésotérique ou qui exige d’adopter une quelconque croyance, le Bouddha encourageant même à constamment vérifier la valeur et la pertinence de cette carte par soi-même, dans sa vie quotidienne.

Je ne vais pas faire un exposé exhaustif sur l’Octuple Noble Sentier, car je ne pense pas être qualifié pour le faire; je veux plutôt partager comment ça vit chez moi et tous les bienfaits que j’en tire.

Les 8 éléments qui composent cette carte routière couvrent tous les aspects du comportement humain, autant intérieur qu’extérieur. Je réalise de plus en plus que tous doivent être présents, si je veux prétendre à une vie harmonieuse, et que l’absence ou la faiblesse d’un seul de ces facteurs mettra cette harmonie tant souhaitée en péril.

Tout d’abord, les 3 éléments qui sont les plus visibles, les plus proches de notre expérience immédiate, concernent la conduite de notre vie : éviter toute action malsaine.

L’action juste me force à poser une simple question : « Ce que je m’apprête à faire risque-t-il de faire du tort aux autres? » et de m’abstenir si la vraie réponse est oui. Il en va de même pour le moyen d’existence juste : « Est-ce que ma façon de gagner ma vie peut nuire aux autres? »

Rien de bien répréhensible ou d’ésotérique jusque là, non?

La parole juste enjoint de m’abstenir de toute parole destinée à tromper les autres et de toute parole dure et blessante, d’éviter de parler contre une ou des personnes ainsi que de parler inutilement. Ne faisant pas attention à ce que je dis, je peux aimer croire que mes paroles sont inoffensives, mais que vaut cette croyance si ces paroles sont reçues par l’autre comme dures ou blessantes? Mon « coach de vie » me demandant de ne pas ME mentir, je dois confesser humblement qu’en matière de parole juste, j’ai du chemin à faire 😉.

Les 3 facteurs suivants ont à voir avec la maitrise de l’esprit. Il y a un effort sérieux à faire, car — je l’ai découvert très tôt avec la méditation — je le contrôle assez peu, mon esprit. (C’est mieux connu sous le nom de « la roue du hamster ».)

Comme pour un muscle atrophié que je souhaite renforcer, je dois y travailler, y mettre énergie et constance… tous les jours. Cet effort juste, c’est un peu — comme le laisse entendre mon « coach de vie » (j’aime bien dire ça) — « ramer à contre-courant ». Ça ne vient pas tout seul, car je suis plutôt enclin à la complaisance, surtout lorsqu’il s’agit de moi-même. Dit autrement : « Je suis parfait comme je suis! » (Ouf!)

La pratique de l’effort juste m’a également fait réaliser jusqu’à quel point je mettais de l’énergie dans des choses totalement inutiles : l’anxiété, par exemple. Ou la rancune. Ou le regret. Combien de fois, me suis-je inquiété pour rien. Et quelqu’un pourrait-il m’expliquer à qui la rancune ou le regret sont utiles?

Là encore, je l’avoue, j’ai du chemin à faire.

La conscience juste, c’est la conscience de la réalité de chaque instant.

Ce n’est pas aussi évident que ç’en a l’air. L’être humain prend conscience des objets (intérieurs ou extérieurs), et les évalue pour « savoir quoi faire avec », en fonction de son propre intérêt, pas pour en connaitre leur véritable réalité.

Je réalise que ce que je crois être « conscience » n’est en fait que « semi-conscience ». Si je m’emporte contre quelqu’un, par exemple, je sens bien qu’il se passe quelque chose de déplaisant, mais je n’en suis pas pleinement conscient. Je suis sur le « pilote automatique », sans aucun contrôle véritable. Dès que j’en prends véritablement conscience, l’emportement cesse sur le champ.

Je vous ai dit que j’ai du chemin à faire? (Je me demande si le Bouddha n’a pas utilisé le mot sentier par exprès…)

Cette conscience attentive ne peut pas se manifester sans la concentration juste, cette faculté qui aide à développer la stabilité et la finesse de l’esprit, la capacité de creuser, d’aller dans les profondeurs de l’inconscient pour être témoin de tous les processus qui s’y déroulent. Pour distinguer « immédiatement » les événements intérieurs les plus subtils et les plus cachés. 

Les deux éléments suivants ont à voir avec le développement la sagesse, c’est-à-dire la faculté de comprendre que ce que je crois dur comme fer être la réalité ne l’est peut-être pas. Et c’est là que la technique Vipassana s’avère indispensable pour ébranler ces certitudes qui influencent mon comportement.

Tout d’abord, l’intention juste. J’ai toujours cru que la plupart de mes actions étaient animées d’une bonne intention. (Je suis une bonne personne, après tout.) À force de regarder très attentivement et profondément (impossible à faire sans une bonne concentration), je réalise qu’il y a une motivation derrière la moindre pensée. (Ça ne saute pas aux yeux, croyez-moi!) Je pourrais presque dire que ç’a été un choc de découvrir que, lorsque je pense en mal de quelqu’un, par exemple, c’est que j’en ai l’intention. Contrairement à ce qu’il me semble, lorsque je perçois une personne « négative », par exemple, je ne suis pas en train de « constater » que telle personne est négative; je la « fabrique » ainsi, intentionnellement. Et si je suis convaincu que cette personne est « réellement » comme ça, indépendamment de moi, je suis en pleine illusion.

Du chemin à faire…

Enfin, la compréhension juste est une compréhension directe, non conceptuelle, de la véritable nature de l’expérience. Plus précisément, il s’agit de comprendre continuellement que toute expérience, que ce soit une émotion, une perception ou même un désir sont toujours temporaires.

Combien de fois me suis-je laissé (et me laisse encore souvent) piéger par un « j’ai envie de » ou bien un « ça ne me tente pas », pour faire quelque chose qui n’est pas bon pour moi (2 œufs, bacon, toast, café) ou m’empêcher de faire ce qui l’est (mon heure de méditation), ne comprenant pas que cette envie ou cette aversion ne sont que temporaires.

La compréhension juste, c’est réaliser d’instant en instant que tout ce que j’éprouve — que ce soit de l’anxiété ou du plaisir, une envie ou un dégoût — est une fabrication mentale, conditionnée et temporaire, et qu’il suffit d’attendre quelques instants pour que cette anxiété ou cette envie disparaissent. Et que je reprenne le contrôle de mon esprit.

Pour employer une expression que les scientifiques utilisent de plus en plus avec cette connaissance grandissante du fonctionnement de l’univers : « Le monde est fait d’événements, pas de choses ». Tout est en constant devenir. Y compris nous. Lorsqu’on commence à voir les choses de cette façon, à SE voir de cette façon, un certain détachement s’opère et toute expérience se défait de son aspect « personnel ». Cette constante préoccupation sur soi commence ainsi à faiblir.

Ben oui, ben oui, j’ai du chemin à faire 😊

Et Vipassana, là-dedans?

Les séances de méditation quotidiennes ne sont ni plus ni moins que de l’entrainement à développer la conscience et la capacité de ne pas se laisser affecter par tout ce qui s’y présente.

Je pense être devenu moins réactif, moins inquiet, moins dépressif, moins stressé et moins jaloux. Je suis convaincu que c’est directement relié à mon parcours sur ce chemin.

Ce que je pratique n’est donc pas seulement de la méditation, mais le sentier. Il ne s’agit donc plus maintenant d’une « activité », mais d’un Art de vivre. Et c’est comme ça que je veux continuer.

unsplash-logoLa photo est une gracieuseté de Christian Holzinger

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